Elle voulait ressentir
Elle s’appelait Élodie.
Elle ne cherchait pas l’amour. Ni même le plaisir.
Elle voulait ressentir.
Le frisson dans le ventre, le vertige au creux de la gorge, cette exaltation du corps qu’elle n’avait jamais connue qu’à travers les livres ou les rêves.
Elle voulait se sentir vivante. Enfin.
Mais entre elle et cette intensité, il y avait une prison invisible, faite de règles, de peur, de culpabilité.
Un tribunal intérieur qui jugeait tout : son envie, ses gestes, même ses pensées.
Chaque fois qu’elle s’approchait d’elle-même, la honte revenait, glaciale, autoritaire, familière.
Le corps comme champ de bataille
⚡ L’appel du frisson
Elle se souvenait de ce soir-là. Seule, dans son lit. Une main sur son ventre, l’autre immobile, suspendue au-dessus d’elle, comme figée par une peur ancienne.
Elle voulait descendre, explorer, sentir, mais quelque chose l’en empêchait. Son corps réclamait, sa tête refusait. Le conflit était total.
Et dans ce silence tendu, une pensée s’imposa : je n’y arriverai pas seule.
Élodie n’avait jamais été guidée vers le plaisir. On lui avait appris à bien se tenir, à fermer les jambes, à sourire avec retenue. Le sexe, dans son éducation, c’était sale, dangereux, presque honteux. Alors son corps s’était tu. Longtemps. Trop longtemps.
Jusqu’à ce que le manque devienne douleur.
Le corps réclame toujours justice.
Un soir, au détour d’un forum, elle tomba sur une discussion autour du BDSM.
Pas le cliché de la douleur, non. Plutôt des mots nouveaux : confiance, exploration, conscience, lâcher-prise.
Et ce mot, surtout : soumission.
Elle sentit un frisson courir dans son dos.
Pas de peur. D’appel.
Le tribunal intérieur
🕯️ Peur, honte et désir
La curiosité fit place au trouble.
Elle lisait, relisait, jusqu’à s’y perdre.
Des femmes parlaient de leur Maître avec respect, parfois avec amour.
Elles décrivaient la peur, la douleur, la délivrance.
Et Élodie, dans l’ombre, se reconnaissait.
Mais aussitôt, la voix du juge intérieur grondait :
« C’est malsain. Tu veux être dominée ? Tu es malade. »
Cette voix, c’était celle de son enfance, de son père autoritaire, de sa mère pudique.
Celle d’une société qui lui avait appris que désirer, c’est mal, que le plaisir d’une femme devait être discret, silencieux, presque invisible.
Alors elle résistait.
Mais plus elle résistait, plus le désir grandissait.
Comme une fièvre.
Parce qu’au fond, elle savait : le BDSM n’était pas une déchéance, mais une voie.
Un moyen de se délier. De se confronter à ce qu’elle craignait le plus : elle-même.
Freud écrivait que la sexualité est au cœur de l’existence humaine.
Et Élodie sentait que c’était vrai.
Mais son cœur battait encore entre deux mondes : celui de la peur, et celui du feu.
Le Miroir du Maître
🔥 Le guide et la frontière
Elle ne savait pas exactement quand elle avait commencé à parler à cet homme.
Un message, puis un autre. Une voix grave, calme, presque douce.
Rien de brutal. Pas de promesses.
Juste des mots justes.
Il ne voulait pas la posséder. Il voulait la comprendre.
Il lui demanda d’écrire ce qu’elle ressentait.
Les mots sortirent comme une déchirure :
« J’ai peur d’aimer être soumise. »
Cette phrase la terrifia.
Mais au lieu de la juger, il répondit simplement :
« Alors, commençons par apprivoiser ta peur. Pas ton corps, pas encore. Ta peur. »
C’est là qu’elle comprit.
Le Maître n’était pas celui qui ordonne sans écouter.
Il est celui qui contient, qui veille, qui conduit sans forcer.
Comme l’écrit Simone de Beauvoir, « Le sexe n’est pas une souillure, c’est une donnée de la vie. »
Elle découvrait, dans ce dialogue, un espace où elle pouvait respirer.
Un espace où la honte pouvait se dire sans détruire.
La descente vers soi
💫 Le frisson de la liberté
Un soir, il lui demanda simplement de fermer les yeux.
De respirer.
De poser la main sur sa cuisse.
De sentir, sans juger.
Ce fut d’abord le vide. Puis la chaleur.
Un tremblement, léger, presque tendre.
Elle n’avait jamais ressenti son propre corps de cette façon.
Chaque frisson était une victoire contre le tribunal intérieur.
Elle n’obéissait pas à un homme.
Elle s’autorisait.
Le mot “soumission” prit un autre sens :
ce n’était pas s’effacer, mais se confier.
Laisser tomber le masque, accepter de ne plus lutter contre soi.
C’est là que le BDSM devient art :
celui d’apprivoiser la peur, de la transformer en puissance.
Comme l’écrivait Bataille : « L’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort. »
Pour Élodie, cette mort symbolique, c’était celle du contrôle.
Et dans sa chute, elle renaissait.
Le choix
⚖️ Laisser tomber ou s’éveiller
Mais la route ne fut pas simple.
Certaines nuits, elle voulait fuir.
Revenir à sa sécurité de façade, à sa vie bien rangée, sans vertige.
Et d’autres, elle rêvait de s’agenouiller, de tout confier, d’abandonner le combat intérieur.
Ce combat, c’est celui que chacun mène entre la peur du passé et l’appel du futur.
Entre la punition qu’on connaît et la liberté qu’on redoute.
Entre le poids de ce qu’on a subi et la promesse de ce qu’on pourrait être.
Élodie l’avait compris : rester entre les deux, c’est l’enfer.
On souffre. On se torture.
Vouloir et refuser dans la même seconde, c’est mourir à petit feu.
Alors elle décida.
De choisir.
Pas de tout comprendre.
Mais d’assumer.
D’assumer ce qu’elle ressentait, d’assumer le trouble, le désir, la peur.
Parce que la liberté commence quand on cesse de se mentir.
Et maintenant ?
🌹 Ressentir pour exister
Élodie ne savait pas encore où cela la mènerait.
Mais elle savait une chose : elle ne voulait plus vivre à moitié.
Elle voulait sentir son corps, l’assumer, l’habiter.
Elle voulait vibrer, tomber, se relever.
Peut-être qu’elle tomberait amoureuse.
Peut-être qu’elle fuirait.
Mais ce soir-là, dans le silence, une phrase résonna en elle :
« Ressentir, c’est vivre. Et vivre, c’est oser. »
Alors elle ferma les yeux, respira profondément, et laissa la peur fondre.
Dans le noir, il n’y avait plus de juge, plus de honte.
Seulement ce frisson ancien, celui qui, enfin, lui appartenait.