Le mirage libertin : quand la promesse de liberté vire au décor de cinéma

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Sous ses airs de liberté, le libertinage n’est souvent qu’un décor vide : un jeu social, une imitation du porno, une transgression sans âme. On s’y montre, on ne s’y découvre pas. La vraie audace n’est pas de se dénuder, mais d’oser se montrer vrai, vulnérable, vivant.

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La scène avant le rideau

On t’en

Le libertinage pourrait être un espace de découverte — à condition qu’on y remette de l’intention. Qu’on ose parler, écouter, créer du lien. Qu’on dépasse les critères de beauté, qu’on prenne le risque d’être maladroit, ému, sincère. Qu’on transforme la performance en

Sur les sites, dans les clubs, dans les conversations feutrées — tout semble suave, raffiné, sensuel. On évoque les jeux de regards, les chandelles, les caresses échangées comme dans un film Dorcel revisité en mode chic parisien. On te vend une expérience hors norme, un éveil charnel où la morale s’efface pour laisser place à la découverte.

Mais la réalité, elle, est bien moins poétique.

Sous les paillettes, la mise en scène, le parfum de transgression, il y a un vide immense. Parce que la majorité des rencontres libertines n’ont rien d’une exploration : ce sont des répétitions. Toujours les mêmes gestes, les mêmes postures, les mêmes rituels. On boit, on danse, on baise. Point final.

L’humain disparaît.
L’érotisme devient mécanique.
Et le fantasme se dissout dans la banalité.

Le libertinage comme décor — pas comme voyage

Le fantasme de liberté, version carte postale

Le libertinage se rêve comme une transgression. En réalité, il n’est souvent qu’un espace hyper codifié, où chacun rejoue les mêmes rôles.

Les jeunes avec les jeunes. Les beaux avec les beaux. Les corps bien faits qui s’attirent entre eux. Ce n’est pas de la liberté, c’est de l’entre-soi.

Le libertinage, dans sa version actuelle — celle des applis, des soirées “sélect”, des clubs en velours rouge — est plus proche d’un théâtre social que d’une quête sensuelle. On ne s’y découvre pas : on s’y confirme.

On cherche le regard qui flatte, pas celui qui dérange.
On ne s’y affronte pas, on s’y met en scène.
Même la nudité y est codée : propre, calibrée, esthétique.

C’est paradoxal : dans un lieu où tout semble permis, tout est en réalité terriblement convenu.

Le désir sans imagination

Du fantasme à la performance

On pourrait s’attendre à ce que ces espaces soient des laboratoires du plaisir, des lieux d’exploration, de curiosité. Mais non.
L’imagination y est rare.

Le désir s’y étouffe sous le poids de la répétition.

Les libertins, dans leur majorité, ne cherchent pas à explorer. Ils cherchent à reproduire une image du plaisir apprise dans la pornographie. Les corps s’empilent, les bouches s’ouvrent, les gémissements s’imitent. On joue à être libre. On joue à être désirable. Mais il ne se passe rien de vrai.

Le philosophe Georges Bataille disait : « L’érotisme est l’approbation de la vie jusque dans la mort. »

Mais dans ces lieux, l’érotisme meurt de conformité. Aucune transcendance, aucune effraction du réel. Seulement une chorégraphie de gestes où le plaisir devient un objectif mécanique, un point final au lieu d’un chemin.

Le libertinage, tel qu’il est pratiqué, n’a plus rien d’une aventure. Il s’est transformé en mise en scène du sexe consommable, un simulacre de transgression où tout est prévu, cadré, validé.

La peur du vrai — quand la chair effraie

L’autre, miroir trop cru

Dans cet univers, le regard de l’autre devrait être déclencheur. Mais il n’est que juge. Chacun s’observe, se jauge, se compare. Le plaisir est conditionné à la validation visuelle. Et paradoxalement, cette recherche d’u regard’approbation tue toute authenticité.

Le psychanalyste Jacques Lacan disait : « Le désir, c’est ce qui manque. »

Là où le libertin se contente de “faire”, l’érotique ressent.
Il cherche la vibration, la profondeur, le trouble.
Il accepte de perdre le contrôle, de se confronter à sa honte, à sa peur, à sa limite.

Cette peur du manque, c’est aussi la peur du lien. Le libertin ne veut pas aimer. Il ne veut pas être ému. Il veut jouir sans se voir. Sans s’impliquer. Mais à force d’éviter la profondeur, il ne touche plus rien de vivant.

L’illusion du contrôle — et la mort du vertige

Jouer à être libre, c’est encore se mentir

Le libertinage se présente comme un espace d’émancipation. Pourtant, c’est un lieu de contrôle total. Contrôle des corps, du décor, des émotions, des gestes. Tout est prévu pour éviter le chaos, la faille, le vrai. Et c’est précisément ce qui le rend stérile.

On se croit libéré, mais on ne fait que rejouer les normes sociales :

  • séduire selon les critères dominants,
  • performer selon les attentes du groupe,
  • plaire pour être inclus.

Même dans la soi-disant transgression, le carcan reste le même.
Et cette fausse liberté devient une cage dorée.
La honte n’a pas disparu, elle s’est simplement déguisée.

Ce que le libertinage révèle malgré lui

La soif d’être vu, sans être connu

Le libertinage dit beaucoup de notre époque : il révèle une faim d’attention plus qu’un appétit de plaisir.

On veut être regardé, mais pas rencontré.
On veut être désiré, mais sans se livrer.
On veut jouir, mais sans risquer de trembler.

Comme le résume le philosophe Michel Foucault, « Le sexe n’est pas un instinct, mais une invention culturelle, une technologie de soi. » Le libertinage, dans cette perspective, est devenu une performance sociale où l’on expérimente plus son image que son corps. Une vitrine où chacun expose sa version idéalisée et surtout, pornographique, de la liberté.

Et pourtant, au fond, beaucoup repartent vides.
Parce qu’ils n’ont rien rencontré d’autre qu’eux-mêmes — et encore, à travers le filtre du regard des autres.

L’érotisme : ce qu’il reste quand le libertinage s’effondre

La transgression comme art de sentir

L’érotisme, le vrai, celui que Bataille ou Comte-Sponville évoquent, n’a rien à voir avec la consommation du sexe. C’est une mise à nu de l’être, une tension entre pudeur et impudeur, une danse entre la peur et le désir. C’est l’art de désirer ce qu’on ne possède pas, d’explorer ce qui nous trouble, de s’exposer sans se réduire à un rôle.

Là où le libertin se contente de “faire”, l’érotique ressent.
Il cherche la vibration, la profondeur, le trouble.
Il accepte de perdre le contrôle, de se confronter à sa honte, à sa peur, à sa limite.

Le libertinage vend un fantasme.
L’érotisme, lui, révèle une vérité.

Peut-on sauver le libertinage ?

Oui, à condition d’y remettre de l’âme

Le libertinage pourrait être un espace de découverte — à condition qu’on y remette de l’intention. Qu’on ose parler, écouter, créer du lien. Qu’on dépasse les critères de beauté, qu’on prenne le risque d’être maladroit, ému, sincère. Qu’on transforme la performance en présence.

Le vrai libertinage n’est pas un défilé de chair : c’est un laboratoire de soi, un lieu où l’on apprend à se connaître à travers l’autre.
Mais tant qu’il restera un simple décor où l’on joue à être libre sans jamais l’être, il ne sera qu’une copie triste du porno, polie, parfumée, sans âme.

En conclusion

Le libertinage, dans sa forme actuelle, n’est pas une révolution.
C’est une illusion de liberté enserrée dans les mêmes conventions sociales qu’elle prétend briser.
Les libertins ne sont pas des explorateurs du plaisir, mais souvent des acteurs de leur propre spectacle.

La vraie transgression, aujourd’hui, ce n’est pas de montrer sa peau.
C’est d’oser se montrer vrai.