Pourquoi les couples libertins tiennent tant à dire qu’ils sont amoureux
On les voit partout, sur les sites libertins. Ces profils de couples qui commencent tous pareil : “Ensemble depuis 10 ans”, “Très amoureux”, “Notre couple va merveilleusement bien”.
Cette précision semble anodine, presque attendue. Et pourtant, elle en dit long. Pourquoi tant de couples tiennent-ils à justifier leur solidité avant même de parler de désir, de fantasmes ou d’aventures ? Pourquoi ce besoin de rappeler que tout va bien, comme si le dire suffisait à le garantir ?
L’amour affiché comme gilet pare-balles
❤️ Le discours de façade
Dire qu’on est amoureux, c’est une façon de poser un cadre. Une manière de dire : “Ne vous méprenez pas, on ne cherche pas à se sauver, on cherche à s’amuser.”
Mais cette affirmation en dit souvent plus qu’elle ne veut avouer. Elle traduit une forme de fragilité cachée. Dans un univers où tout est jeu, corps, tentation et compétition, affirmer sa solidité de couple devient un rituel de protection.
C’est une manière de rassurer les autres… et surtout de se rassurer soi-même. Le “très amoureux” fonctionne comme une armure : on veut montrer que tout est sous contrôle, que l’ouverture sexuelle n’est pas une béquille relationnelle.
Le philosophe André Comte-Sponville écrivait : « L’amour n’a pas besoin de promesse, seulement de présence. »
Alors pourquoi tant de couples ressentent-ils le besoin de promettre encore ? Parce que l’exposition du couple sur un site libertin est déjà une forme de fragilité : on se montre, on s’offre au regard, on s’expose au risque.
Derrière le “très amoureux” : la peur
🩸 La peur de perdre
Le libertinage, sous ses airs légers, est un laboratoire de peurs.
Peur de ne pas être à la hauteur.
Peur d’être comparé.
Peur de voir son partenaire s’abandonner dans les bras d’un autre — et d’y prendre plus de plaisir qu’avec soi.
Cette peur, beaucoup la masquent par des mots rassurants. Ils exhibent leur amour comme un talisman contre la jalousie. Mais cette jalousie, elle rôde. Elle s’invite dans les regards, dans les gestes, dans la tension silencieuse d’un trio qui dérape.
La jalousie n’est pas forcément un signe de faiblesse : elle révèle souvent un attachement profond et une insécurité intérieure. Ce qu’on veut défendre à tout prix, ce n’est pas toujours l’autre, mais l’image de soi à travers l’autre.
Le psychologue Irvin Yalom, dans Le bourreau de l’amour, écrivait que “nous projetons sur l’autre nos zones de manque, et c’est pour cela que le désir est si dangereux.”
Le libertinage confronte justement à cette projection : que reste-t-il quand mon plaisir ne passe plus par la possession ?
Le besoin de prouver : une forme de performance amoureuse
💍 Le couple comme vitrine
Sur les plateformes libertines, le profil devient une vitrine de séduction. Le couple s’y expose comme une marque : il faut séduire, attirer, convaincre. Et dans cette mise en scène, l’amour devient un argument marketing.
Le “très amoureux” devient alors un label de qualité : “regardez comme nous sommes stables, équilibrés, confiants — vous pouvez venir jouer sans risque”.
Mais derrière cette assurance se cache souvent une autre réalité : celle d’un couple qui cherche à se vérifier dans le regard des autres.
Le libertinage devient un miroir.
Certains s’y contemplent pour se redécouvrir, d’autres s’y perdent pour ne pas se voir vieillir.
Le sociologue Michel Foucault rappelait que “le sexe est une technologie de soi” : une manière de se façonner à travers le regard social. Dans les couples libertins, cette technologie devient parfois une mise en scène de contrôle : on veut prouver qu’on maîtrise le jeu, qu’on reste l’un pour l’autre le centre du monde, même au cœur du désir partagé.
Quand la liberté devient test
🧩 “Tout va bien” : ou comment se convaincre
Le libertinage est censé être une aventure de liberté, mais il devient souvent un test de solidité.
On veut vérifier qu’on ne craint rien, que l’autre ne flanchera pas. Mais cette logique transforme le plaisir en épreuve.
Certains couples s’en sortent grandis. D’autres s’y brisent en silence.
Dire “on est très amoureux”, c’est parfois préparer le terrain d’un risque : comme un funambule qui répète “je ne tomberai pas” avant de poser le pied sur le fil.
C’est une façon de se maintenir en équilibre, d’ignorer les fissures.
Mais la vérité, c’est que le libertinage ne répare pas les couples fragiles. Il les dénude. Il révèle ce qui tient et ce qui craque.
L’amour lucide : accepter l’inconfort
🔥 Oser se dire les vraies choses
Les couples qui traversent le libertinage sans se perdre ont un point commun : ils parlent vraiment. Pas pour se rassurer, mais pour se dire leurs peurs, leurs jalousies, leurs envies contradictoires.
Ils ne confondent pas liberté et fuite. Ils acceptent de regarder la tension en face, de comprendre que le désir partagé implique un risque : celui de voir l’autre jouir sans soi — et d’en être troublé, excité, ou meurtri.
Comme le rappelle Spinoza, « aimer, c’est se réjouir de l’existence de l’autre. »
Mais encore faut-il que cette existence ne menace pas la nôtre. Dans le libertinage, cette phrase prend une dimension vertigineuse : se réjouir du plaisir de l’autre… même quand on n’en est pas la cause directe. Peu de couples y parviennent.
Derrière les mots, les besoins
💬 Ce que cache la phrase
“Nous sommes très amoureux” traduit souvent :
- “Nous voulons être pris au sérieux.”
- “Nous ne voulons pas être jugés.”
- “Nous avons peur que cette aventure nous échappe.”
Ces besoins sont humains, profonds, légitimes.
Mais ils montrent aussi que le libertinage, loin d’être une simple distraction, met en lumière nos zones d’ombre affectives : la peur du rejet, le besoin d’exister à travers le regard de l’autre, la quête de reconnaissance.
Le libertinage ne crée pas ces failles — il les révèle.
Conclusion : l’amour n’a pas besoin d’être dit, mais d’être vécu
Un couple vraiment solide n’a pas besoin de le proclamer. Son assurance se lit dans les gestes, dans la tendresse, dans le respect du cadre et du consentement.
Les mots, ici, servent surtout à combler un vide. À tenir à distance ce qui fait peur : la perte, la comparaison, la remise en question.
Le libertinage n’est ni une menace ni un remède. C’est un miroir. Il expose la vérité du lien : celle qui ne se mesure pas au nombre d’années, mais à la capacité de rester sincère, même au cœur du désir.
Comme l’écrivait Charles Pépin, « le plaisir est une école de lucidité. »
Et peut-être que cette lucidité, dans le couple libertin, commence justement par un silence : celui où l’on n’a plus besoin de dire que tout va bien… parce que tout simplement, on le vit.


